Asse et Hantaï, deux oeuvres peintes où s’immerger cet été
Parler des images avec les mots est un exercice difficile, mais retranscrire en mots les sensations éprouvées face aux images peut être tenté. Jusqu’à début septembre au Centre Pompidou à Paris, vous pouvez aller confronter votre regard aux œuvres de Geneviève Asse et de Simon Hantaï, peintres contemporains, puisque nés tous deux début des années 1920, et dont le Centre offre à voir le travail de leur vie, en une douzaine de toiles à l’étage du musée pour Asse, en une large rétrospective pour Hantaï. Je ne ferai pas ici de biographie, accessible un peu partout sur le net. Je parlerai juste de sensations dans l’idée de partager mon enthousiasme pour leur travail et de donner envie d’aller le voir. Car leur puissance est absolument imperceptible en reproduction.
Tous deux sont des abstraits lyriques, comme Rothko, Pollock, Mathieu. C’est à dire qu’ils recherchent dans l’acte de peindre l’émotion directe, celle-ci n’étant perceptible que lorsque l’on plonge directement dans la matière de leurs toiles. On peut aller à leur rencontre sans aucune connaissance, aucune habitude de la peinture. Ils offrent des mondes de sensations accessibles à qui veut bien se laisser entraîner.
Asse, je ne connaissais pas du tout. La peintre, qui habite aujourd’hui en Bretagne, est une femme discrète et cette discrétion se retrouve dans sa peinture. Ses toiles sont de grands formats, presque toutes dans des teintes de bleu qui sont comme des rideaux aquatiques ou textiles derrière lesquels se ressent un monde. La première impression lorsque je suis entrée dans la salle où elle est exposée est la sérénité, l’équilibre. J’ai été happée par une intensité calme, une vibration qui m’a projetée dans ses espaces vaporeux, et je me suis sentie soudain comme suspendue entre le monde extérieur dont elle part (ses premières toiles sont des fenêtres, des portes…) et celui, intérieur, qu’elle dévoile derrière ses lignes, ses fentes, ses lignes de démarcation. J’ai eu envie de me coucher dedans, comme dans le lit d’une rivière qui coule autour de soi.
Hantaï, c’est autre chose. A l’opposé de l’entêtement obsessionnel de Asse, il est le peintre de la recherche tourmentée, des expériences, du travail énorme, excessif. Son oeuvre est colorée et violente, charnelle, mais toujours dans l’équilibre. Il a commencé au sein du groupe des surréalistes (dans l’après guerre et les années 50) et l’on retrouve dans ses première toiles les formes osseuses, les tubes, les objets intérieurs et organiques de Dali et Tanguy, Lam ou Matta. Les peintures de Hantaï entraînent dans un voyage sans issue, d’ailleurs il cessera de peindre à la fin de sa vie, son travail étant devenu systématique, sa logique ayant trouvé son terme, ce qui est assez émouvant d’ailleurs car il a vraiment été au bout de lui-même atteignant une plénitude qui rappelle Matisse. Passer entre les toiles immenses de Hantaï, c’est pénétrer dans un détail de Klimt mille fois grossi, c’est vibrer au rythme des écailles, des étoiles, feuillages asiatiques, nymphéas tropicaux, un magma qu’évoquent les formes produites par sa technique de toiles pliées, peintes, dépliées, repeintes… c’est partager sa folie, sa frénésie, son plaisir des couleurs et des formes. On s’y roulerait.
Aller au musée est toujours une activité bizarre. On se demande quel acte culturel on commet là d’aller s’enfermer dans des salles où sont offertes aux sens et à la réflexion des surfaces planes ou développées dans l’espace issues du travail de ceux qu’on appelle les artistes, qui sont parfois des chamanes, c’est à dire des intercesseurs entre nous et les mystères du monde. Car parfois, une rencontre peut avoir lieu entre une œuvre et vous-même. Les toiles peuvent être l’origine de ressentis forts comme certains paysages, certaines musiques. Elles peuvent faire naître en soi des myriades de sensations. Cela m’est arrivé hier. A vous.
Quand le cœur s’ouvre aux images délivrantes…
J’ai été en particulier touché par votre analogie que je crois vrai : « les artistes, qui sont parfois des chamanes, c’est à dire des intercesseurs entre nous et les mystères du monde »…
Peut-être un jour nous croiseront-nous dans un de ces lieux dédiés à la délectation des yeux et de l’esprit.
J’ai visité l’expo sur Hantai début juillet, que je ne connaissais pas du tout. Quel plaisir de découvrir son œuvre qui, comme tu le dis, nous fait d’une certaine façon toucher aux mystères du monde. Par contre, j’ai raté Geneviève Asse qui pourtant m’aurait plu, je pense. Il me semble que, dans l’un comme dans l’autre, il y a la recherche d’une pureté, d’une sincérité et d’une justesse – d’une sorte d’accord intime avec le monde – qu’on retrouve aussi chez Fabienne Verdier.